- Je suis là, tout près de toi, mon ange.
- Alors comment se fait-il que je ne te vois pas?
- Ouvres les yeux!
- Ils le sont, tu sais...
- Ouvres les yeux, tu ne peux me manquer, je suis si près de toi, je sens ton souffle rauque dans mon cou, je ressens les mouvements de ta respiration, j'entend ton coeur qui bat... Qui bat si vite!
- Mon coeur bat toujours vite quand tu es là.
- Tu affirmes donc que je suis là, mais tu viens de prétendre que je ne m'y trouvais point... N'est-ce pas un peu contradictoire?
- En effet, mais... Je tente d'ouvrir les yeux pour te voir. Bien qu'ils soient grand ouvert, je ne vois rien. Rien sauf la noirceur éperdue, la noirceur qui semble infinie, éternelle. Comme un grand vide dans lequel je me trouve et dans lequel je ne cesse de plonger. Personne pour me rattraper, m'en empêcher, je tombe, je tombe...!
- Tu me donnes l'impression d'avoir des vertiges...
- Oh mais j'en ai ! J'en ai toujours quand tu es près de moi.
- Cela prouve que tu me crois, je suis bien là, ma douce!
- J'ose y croire, j'espère en fait que c'est vrai... J'aimerais tant que tu sois là.
- Mais je le suis, je te le promet.
- Oh non, ne promets pas ! Ne promets pas, car chaque promesse que tu as pu me dire, tu ne l'as pas tenue, chaque promesse que tu as dit tenir à jamais, tu les as rompue. Ne promets pas, car, en promettant, tu me prouves que tu me mens. Ne promets pas, car je finirai par te croire, et, promis, cela finira par me faire grand mal!
- Je suis là, je te prie de me croire.
- Comment pourrais-je? Chaque fois que j'essaie, je souffre d'autant plus.
- Je sais, mais là, c'est réel tu sais, je suis là.
- Mais je ne te vois pas!!! J'essaie de te voir, à la limite de t'entrevoir, mais je ne te vois pas, je ne vois rien, aucun mouvement! Je te ressens, mais je ne te vois pas! Comment prouver que ce n'est pas qu'une petite voix dans ma tête, ou bien un rêve éveillé!?
- Parce que tu ne rêves pas, il fait noir, mais tu ne dormais pas, tu ne rêves pas. Tu as les yeux grands ouvert, mais tu es incapable de me voir.
- Parce que tu n'es plus là, inéluctablement !
- Mais non! Parce que tu ne veux pas me voir, tout simplement!
- ...
- Moi, je veux te voir, et lorsque je le veux, je te vois. D'une élégance pointilleuse, tous tes gestes sont, à mes yeux, un ballet exquis, empli de finesse et de doigté. Tes simples mouvements se transforment en danse, tes sons plus que normaux, à mes oreilles, deviennent symphonie. Je te vois, je te connais par coeur : je te devine.
- Je veux te voir.
- Tu ne pourras pas, tu ne pourras plus jamais. Ton coeur tente de s'ouvrir et veut me voir, mais ta raison t'en empêche. Elle qui ne veut plus souffrir, ton coeur qui veut tout me donner par amour. Moi je te vois, et bien que je ne te verrai plus, je te vois, là, maintenant. Ma main qu'effleure ton visage aussi doux qu'un pétale de rose, mon coeur qui ne bat que pour toi, mon âme qui est tienne à jamais. Tout est là, tout est là pour toi, à ta portée de la main. Cependant, ta tête t'en empêche. Je finirai par l'accepter, bien que la vie sans te voir deviendra un perpétuel vide qui, à jamais, tenterais-je de combler sans réussir. Mes journées, bien qu'ensoileillées, deviendront grises à jamais, mon ciel, autrefois d'un bleu si tendre, d'un bleu comme tes yeux, dans lesquels j'aimais tant plonger mon regard, sera pour toujours parsemé de nuages. Mes sourires, naguère si purs, sincères et gouteux, seront amers, jaunes et forcés. Mes gestes, jadis spontannés et expressifs de tout l'amour que je te porte seront calculés et sans signification. Mes nuits, anciennement passées à rêver à toi, à nos passions et à tout l'amour que nous nous portions, deviendront hantées par ta beauté cruellement innacessible. Mes pensées, oh mes pensées, qui t'étaient toutes devouées et entièrement tiennes, le resteront, certes! Néanmoins, dieu sait à quel point elles me tortueront de ne plus t'avoir à moi, de ne plus t'embrasser et de t'entendre rire. Tous ses souvenirs me tueront à petit feu. Mes oreilles, s'ennuyant de l'exquise prononciation de tes dialectes, saigneront, voudront devenir sourdes, préférant ne rien entendre que de petites paroles dépourvues de sens. Mes yeux, suppliciés de ne plus voir tes lèvres si douces, tes yeux si invitants, ton visage si pâle et ton corps grâcieux, tenteront de ne plus voir tant qu'à voir de singulières frimousses, ou de trop nombreux masques. Mon odorat, acablé de ne plus sentir ta sirupeuse effluve, remémoirant ta fougue et ton ardeur, entreprendra de ne plus sentir, car de simples flagrances ne valent rien comparé à la tienne. Mes lèvres, si souvent posées sur tes lèvres ou ton front, espèrereront ne plus jamais toucher quelque chose, sinon que tes voluptueuses lèvres. Et mon coeur... Mon coeur, sera à toi à jamais, puisque je sais que mon esprit t'affectionnera d'une adoration interminable. Avant l'aurore, je partirai. Mais laisses moi te regarder, encore quelques instants. Le potron-minet ne se pointera dans un moment, et c'est à ce moment que je m'en irai, tel un seul homme, un seul pion nullement important.
[moment de silence]
- Ah, voîlà le crépuscule. Si tôt est-il venu, pour ne pas dire trop tôt. Saches que tu as bouleversé ma vie, Nadia, que tu as fait de moi quelqu'un, en me vouant tout cet amour, trop brièvement interrompu. Mon coeur est vôtre, demoiselle, je suis condammé à vous aimer pour l'éternité, telle est ma punition pour avoir pu consumer un tel bonheur qui ne m'était point destiné, il faut croire. Je vous dédie tout ce qu'il peut y avoir de lumineux en moi. Toi, qui as su transformé ma vision des choses, tel un artiste modifie un sujet, imperissablement mon âme te sera redevable. Ah, le Soleil se présente à nous, tel un spectacle, comme un rappel ruinant déjà le somptueux panorama que ton minois me présentait. Je suppose que mon départ est imminent. La dernière locution que mon coeur te portera est celle-ci : bien que j'aurais préféré la vivre avec toi, je te souhaite la prospérité. Sois ce que tu as été pour moi, Nadia, et restes le à jamais, car bien que ton coeur ne m'est plus voué, le mien restera changé à jamais, et ce par ton amour.
[Christian se lève, embrasse tendrement le front de Nadia]
- Ce front va me manquer, ma douce, comme il me manquera... Comme me manqueront tes yeux, tes lèvres, et toi, la si belle femme que j'aime tant... Adieu, mon amour.
[Les yeux verts du jeune homme pénétra pour une dernière fois les yeux d'un bleu enchanteur. Enfin elle put le voir, et un regret soudain s'empara d'elle... La jeune femme entrevu une larme qui se perlait tranquillement au coin des yeux de l'homme qu'elle avait tant chéri, il y a quelques temps de cela. L'homme se dirigea vers la porte, se retourna vivement, et, sur ses lèvres, on pu lire :]
- Mon coeur, à toi, pour toujours.
[Il quitta ainsi la pièce, laissant entrer l'air frais du matin, et l'odeur de la rosée. La fraîcheur soudaine fit frémir Nadia, étendue dans son lit. La porte se referma, et elle entendit les pas s'éloigner. Réalisant soudain son inadvertance, la jeune femme éclate en sanglots.]
Fin du IV acte.
 
